vendredi 29 février 2008

Jean-Pierre Martinet. La Grande Vie

Il est des livres qui nous accompagnent et desquels on fait des oreillers ou des nids pour venir y rire, y pleurer et y retrouver une musique tellement profonde qu’elle semble faire partie de nous-même. La grande vie est pour moi de ceux-là.
Jean-Pierre Martinet est un météore triste. Mort à 49 ans, affaibli par la vie et de multiples échecs, il laisse derrière lui une œuvre de quelques livres, des cailloux de Petit Poucet pour des générations à venir. Comme avec Beckett, sa première lecture m’a laissé sur le cul, ne sachant si je devais rire ou m’inscrire à l’Agence générale du suicide de Jacques Rigaut.
Ce texte a paru pour la première fois dans la revue Subjectif de Gérard Guégan (feu le Sagitaire), dont vous avez pu apercevoir une couv’ un peu plus bas ; il est salutairement réédité depuis 2006 par l’excellent David Vincent (de son vrai nom) des éditions L’Arbre Vengeur.



Adolphe Marlaud possède déjà un nom aussi éloigné du glamour qu’un plat de navets refroidis, la vie ne l’a pas gâté ou seulement dans le sens premier du terme. Ses deux parents sont morts, sa mère gazée à Auschwitz et son père, un enfoiré de première, repose à quelques mètres de chez lui, au Père-Lachaise. Il observe sa tombe de chez lui, rue Froidevaux (…) et se donne pour mission de la surveiller, ce qui, accessoirement, lui donne l’occasion d’acheter une carabine pour dégommer les animaux à qui viendrait l’idée de souiller la noble sépulture.
Son quotidien est une source inépuisable pour qui voudrait rédiger de nouvelles définitions des mots « morne » ou « déprimant ». Employé dans un magazin d’articles funéraires, traité comme un chien par son patron, sa non-vie sexuelle est soudain est soudain bouleversée par l’intrusion d’une énorme concierge de 2 mètres obsédée par Luis Mariano qui le choisit comme objet sexuel, lui si frêle et peu ragoûtant. « Généralement on me comparait à un cloporte ou à une punaise, ce qui me flattait plutôt car j’ai toujours adoré ces petits insectes. Quand je me regardais dans la glace, le matin, je ne donnais pas entièrement tort à mes détractrices. Cette tête d’avorton maussade, presque toujours ensommeillé, ce teint jaunâtre, comme si j’avais passé la nuit dans un seau hygiéniqe, cette taille ridicule qui m’obligeait à porter des talons très hauts pour ne pas ressembler à un des nains de Blanche-Neige, je me sentais parfois si laid, si misérable, que je détournais les yeux lorsque j’apercevais mon reflet dans une vitrine. Madame C. était encore trop bien pour moi. Je ne la méritais pas.»
Ses soirées sont faites de lectures (Bossuet, Rimbaud, Nabokov, Léo Malet ou Svevo) et ses journées de rêveries sur sa clientèle féminine ; toutes ces femmes en deuil portent-elles des sous-vêtements noirs ? Elles le captivent d’autant plus que la grosse Madame C. lui donne un aperçu de l’enfer sensuel : « J’étais condamné à plonger sans maugréer dans les ténèbres rougeoyantes. Je comprenais la terreur des habitants de Pompéï lorsque la lave du Vésuve avait déferlé sur eux. »
Comment donc sortir de tout ce gris de cimetière, de cette solitude poisseuse et de ce désespoir sans fond ? Par le rire, par un humour qui transcende la noirceur, qui la sublime, un rire jaune, sans drame, sans pathos, car « il n’y a pas de drame, chez nous, messieurs, ni de tragédie, il n’y a que du burlesque et de l’obscénité ».

Parmi les « seconds couteaux » de la littérature, les oubliés, les Emmanuel Bove, les Henri Calet et les Maurice Raphaël, Jean-Pierre Martinet fait figure de pierre angulaire. Maintenant, à vous la Grande Vie.


Esprit de Garcimore, magie, double post ! Le logo de l’Arbre Vengeur vient nourrir ma thématique croix/seins, n’est-ce point meeerveilleux ?


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