vendredi 18 janvier 2008

Daniel Frasnay

Voici, après Héléna, un post qui se voudrait presque le pendant visuel de ses romans tant on reste dans le trouble et l’obscur, l’alcoolisé et le bagarreur, l’interlope nocturne et une certaine misère fardée.
L’une des plus grandes découvertes de ma vie en matière de photographie n’est pas née dans un musée ou devant un tardif programme d’Arte mais dans un vieux dépôt-vente type Cash Converters en pire… lorsque je suis tombé sur un petit ouvrage en piteux état, format livre de poche, écrit en allemand, langue dont je ne parle pas quatre mots et demi. Ce qui m’a tout de suite arrêté ce furent les incroyables photos dont regorgeait ce petit opuscule de la fin des années 1950. Un rapide coup d’œil en page de titre m’a fait relever le nom de Daniel Frasnay.



J’ai découvert depuis que ce grand nom de la photo française né en 1928 fut pendant 15 ans le photographe officiel des spectacles du Lido, du Carrousel et des Folies Bergères.
Le Tout-Paris des années 1950 passe au travers de sa pellicule, et particulièrement la faune interlope nocturne, celle des cabarets, des dancings, des rues obscures… Il se fait également un grand portraitiste de peintres et d’artistes de l’époque, de Cocteau à Breton, de Céline à Sartre en passant par Braque, Ernst et j’en passe.



« C’est pour avoir vécu le Paris des pauvres, le Paris sordide, le Paris des désespérés et le Paris des riches que son Paris la Nuit restitue le roman de sa propre vie » écrit Robert Pujade (Maître de conférences à l’Université de Provence)
Son œuvre, à rapprocher de celle de Brassaï ou de Doisneau est un émerveillement que la qualité de mes scans ne retranscrit pas tout à fait mais j’espère au moins que ces derniers auront attiré votre curiosité, c’est mon seul but.



Des expos lui sont « régulièrement » consacrées mais peu de livres sur Frasnay sont aujourd’hui disponibles en librairie, excepté Les Girls (tout est dans le titre) paru en anglais chez Greybull Press en 2005.



Jan Brusse. Paris oh ! la ! la !, Ein Bummel durch die Nachtlokale, Ed. Albert Müller


Toutes les images postées sur ce blog ont pour seul but de faire découvrir des artistes. Si leur publication sur le net pose problème à leurs ayant-droits, ils sont invités à me le signaler et je les supprimerai aussitôt.

jeudi 17 janvier 2008

André Héléna. Rencontre chez Borniol.

Un drôle de type se pointe chez Jean Jérôme, la narrateur du bouquin et accessoirement un sale type attachant, pour lui annoncer la mort d’un certain Léonard, négociant en vins tué par balles, et dont la dernière volonté serait qu’il assiste à sa mise en bière. Etonnant car il ne le connait pas mais suffisamment intéressant pour attirer sa curiosité. Début des emmerdes…

Il y va, suivi de près par le costaud Dominique, son ami et garde du corps corse. Dans la salle, le cercueil est ouvert, entouré par une tripotée de malfrats et par une jolie jeune fille qui prétend être la nièce du défunt. Seulement Jean a beau regarder le macchabée, il ne le reconnait pas. Il comprend alors que tous ces types se sont gourés de client et veut en savoir plus. Personne ne voulant parler, les poings prennent le relais.
Jerôme et Dominique se réfugient ensuite dans un bar proche, où les rejoint la troublante jeune fille présente dans la chambre funéraire, Micheline Gayre…

Commence alors un polar plutôt classique dans lequel, à mes yeux, Héléna n’a pas eu le temps (ou l’occasion) de s’investir réellement et pour lequel il n’a pu fournir que les ingrédients demandés par l’éditeur. A savoir, un savant mélange de violence :

« Je regardai le type que j’avais flingué. Ses yeux commencaient à se révulser, les pointes de ses pieds raclaient le tapis et une mousse sanglante apparaissait à ses commissures. Il appareillait visiblement pour l’enfer. »

de légèreté :

« Une déesse c’était Micheline, une splendide statue païenne, avec des petits seins de marbre accrochés haut, un ventre plat, des hanches en amphores et, au milieu de son corps, une toison sombre qui prouvait qu’on peut être blonde comme une norvégienne et brune par certains côtés. »

Auquel Héléna rajoute, heureusement, car c’est ce qui sauve à mes yeux le livre, une dose de noirceur lourde et d’abjection existentielle. Jean Jérôme raconte qui il est vraiment à la fin du livre, un homme qui a fait une promesse, suite au viol et au meurtre de sa sœur, celle de la venger de la pourriture et de l’immondice qui enlaidissent notre monde :

« Je suis parti dans la nuit mouillée, comme un loup sur une piste, hagard, la tête haute et les doigts crispés sur mon automatique. Je savais où j’allais et ce que je voulais. Je le sais toujours et c’est la même chose » « Seul. Prêt à remettre la gomme dès qu’un de ces salauds m’en donnerait l’occasion ».

C’est précisément ça que j’aime chez Héléna, ces anti-héros confrontés à la poisse quotidienne, au sang cailleux qui vient se coller aux rayons du soleil, à la misère contre laquelle personne ne peut rien parce que… « la vie est dégueulasse » tout simplement comme disait Léo Malet. C’est souvent cette dimension supplémentaire, ce relief qui fait des œuvres d’Héléna autre chose que des polars de gare infiniment duplicables. Je parle en tout cas des textes pour lesquels il n’a pas eu la liberté qu’il méritait, pressé par des éditeurs lui demandant des textes calibrés et répondant à des critères bien précis… Il a pu dans certains, qui sont de véritables perles, donner libre cours à toute sa créativité et marquer à jamais le polar d’un encre indélébile et inimitable. Nous parlerons bientôt de certains de ces textes.

Pour finir et illustrer mon propos sur Rencontre chez Borniol, je laisse la parole à Frank Evrard qui écrivait ces mots très justes dans la préface d’une réédition de L’Homme de main (éditions e/dite, 2000) :

« Car il n’y a aucune illusion à se faire : André Héléna est un radical de la révolte. Pour lui, cette Planète des cocus, pour reprendre le titre de l’un de ses plus singuliers ouvrages (1952), œuvre de moraliste s’il en est, bien dans l’esprit de Voltaire et des Lumières, est un lieu de totale iniquité, une manière d’enfer, le trou du cul de la création. L’histoire de l’humanité et, plus précisément, celle de l’homme, relèvent de l’entropie généralisée du chaos. L’homme est le jouet des événements. Il ne peut échapper à leur engrenage, il n’a pas le choix, il n’a désormais plus le choix. L’a-t-il d’ailleurs jamais eu ? ».

Editions de la Flamme d'Or, 1952

mercredi 16 janvier 2008

François Rivière et Gabrielle Wittkop. Grand Guignol

Encore un texte épuisé, c’est à se demander ce que font les éditeurs…

Gabrielle Wittkop à elle seule mériterait un texte plus approfondi, j’y reviendrai peut-être un jour. Même chose pour François Rivière que je connais malgré tout moins bien.

Tous les deux dressent en une centaine de pages un portrait d’un genre bien oublié de nos jours mais qui fit le bonheur des spectateurs en quête de frissons il y a maintenant un siècle, avant d’être plus ou moins anéanti par le cinéma. S’il ne reste aujourd’hui de tout cela qu’un banal adjectif « grand-guignolesque », il ne faut pas oublier que notre cinéma fantastique emprunte beaucoup à ce genre perdu, qu’André Breton et les surréalistes y ont trouvé une liberté de ton et un mystère fascinants.

Le livre se compose de 14 chapitres, tantôt écrits par FR, tantôt par GW. Ils y analysent les fondements et origines du genre vu par le prisme de ce cher Sigmund et de son concept d’ « inquiétante étrangeté » (Das Unheimliche), du naturalisme exacerbé, de l’art intégrant les découvertes scientifiques. André de Lorde, l’un des principaux auteurs de ce théâtre de l’horreur écrivait à ce sujet : « La science a passé du laboratoire dans le roman ». Cette science se met donc au service de la création et lui procure une source intarissable de frayeurs.

L’un des chapitres les plus intéressants à mes yeux est un « Entretien imaginaire avec André de Lorde » dans lequel François Rivière campe parfaitement le grand homme et lui fait tenir des propos qui rendent avec une grande justesse toute la portée du Grand-Guignol et son importance historique. On ne rappelera en effet jamais que la peur EST un sujet essentiel et incontournable de l’expression artistique.

Aujourd’hui encore, bien des enseignants et de pompeux universitaires continuent de penser que le cinéma d’horreur ou la littérature fantastique contemporaine sont des sous-genres bien à leur place derrière des étiquettes (paralittérature etc.) et qu’il convient de les y laisser ou de ne s’en soucier que si on les y oblige. Chacun ses dégoûts, certes, mais de toute manière, la seule chose qui importe ce sont les lecteurs et les spectateurs, et de ce fait je n’ai aucune crainte. L’horreur continuera de se manifester dans la culture parce qu’elle est partie intégrante de notre civilisation et de notre inconscient.



Ed. Henri Veyrier, 1979.

Sad day

La bande son du neurasthénique atteint de laryngite et de forte fièvre par un jour gris terrifiant. En boucle :

Cat Power « The greatest » (beau à pleurer)


The Shangri-Las « Footsteps on the roof » (leur meilleur morceau à mes oreilles)


Chris Corsano (génie absolu)


Pixies « Where is my mind? » (toute ma jeunesse)

dimanche 13 janvier 2008

Jean-Louis Brau. Les Mauvais Lieux de Londres


Ah la fin des années 1960. Une période bénie pour l’édition !

Ce livre appartient à une série publiée par Balland sur les « mauvais lieux ». On trouve dans la même « collection », des ouvrages d’Ange Bastiani et de Xavier Domingo consacrés à la Côte d’Azur et à Barcelone.
Voici donc un texte écrit par Jean-Louis Brau (1930-1985), lettriste puis situationniste, agitateur 68ard et grand curieux.
A quoi vous attendez-vous en voyant la bobine de ce bouquin ? A une énumération de cochonneries pure et simple, un livre mal écrit et racoleur? Ce serait oublier que ce livre s’inscrit dans une époque bien précise. Voilà comment ça commence :

« Si nous reconnaissons, après Althusser, que le concept d’histoire n’est pas plus historique que n’est sucré le concept de sucre, nous pouvons admettre que le concept de mauvais lieu n’est pas localisé ».

Moi déjà, j’aime bien. Et ce n’est pas fini, suivront des citations d’Engels ou de Marx, donnant un air complètement dépassé au propos mais faisant aussi tout son charme.
Surtout, Brau est un type brillant et ça se sent tout au long du livre. Il nous fait visiter Londres avec la passion et l’enthousiasme d’un connaisseur lettré et destroy.
Boîtes de strip, maisons de passe de Soho, prostituées spécialisées dans le sado-masochisme, arrière-boutiques où l’on vend de la pornographie (hautement réprimée dans la pudibonde Albion), tournages de films, mais aussi clochards de l’East-End ou buveurs d’éther. « La buveuse d’éther se reconnaît à sa lèvre supérieure légèrement couperosée. » etc.
Une galerie de portraits de la misère sous toutes ses formes, financière, sexuelle et psychologique.
« Tout ça n’est pas beau. Je préfère encore les voyous » écrit Brau.
Il y a aussi les hippies sous acide qui écoutent du Soft Machine, les « tombales », les prostituées de cimetières et bien d’autres que je passe sous silence pour ne pas gâcher votre plaisir de lecture si vous dégotez ce livre dans un dépôt-vente ou ailleurs.
En effet ce livre n’est plus réédité depuis des lustres et ne le sera sûrement plus jamais…tout se perd !

Ed. Balland, 1969.