L'un de mes plus grands plaisirs est fait de déambulations chez les bouquinistes ou aux puces. Trouvailles du jour sauvées de l'oubli et de la poussière:
- Tom Waits - Big Time. Marc Ribot aux guitares, au banjo et à la trompette, cela suffit à faire bouillir mon sang. (LP Island 1988) - 1 euro - ...
- Aloysius Bertrand - Gaspard de la nuit. Une lacune à combler (Poche-Club Fantastique 1965, couverture de François Béalu) - 80 cents - ...
"Aloysius Bertrand surréaliste dans le passé" (André Breton)
vendredi 11 janvier 2008
le coin du chineur - 1 -
mercredi 9 janvier 2008
Eric Losfeld
J’aurais peut-être du commencer par là !
La plupart de mes goûts en matière de littérature populaire, érotique, étrange et dérangeante viennent de ce bras d’honneur adressé aux censeurs et aux grenouilles de bénitier par un éditeur hors normes, « hénaurme » !
De 1952 à 1979, Losfeld a bâti une œuvre éditoriale quasi parfaite. Je ne me souviens pas comment j’ai découvert le personnage, ni par quel livre mais dès que j’ai compris l’ampleur de ce catalogue je n’ai eu de cesse de TOUT me procurer, et j’y suis encore.
Ce que tout le monde retient (si l’on retient encore quelque chose) de ce parcours éditorial se limite à la publication d’Emmanuelle, best-seller international qui a quelque part révolutionné les mentalités et accompagné une libéralisation des mœurs en France. Mais Losfeld ne peut se réduire à cela.
Tout commence dans les années 1950 lorsque ce futur éditeur, après avoir travaillé aux côtés de Charlot, d’éditeurs de romans policiers populaires, de François di Dio et de Jean d’Halluin (ah les éditions du Scorpion…), se lance lui-même dans ce périlleux métier, sous la bénédiction du pape du surréalisme, André Breton. Il rencontre le génie dans les cafés où se tenaient encore après-guerre les réunions du groupe, évoque son projet d’éditer les œuvres complètes du « Petit romantique » Xavier Forneret, enthousiasmant aussitôt Breton qui le soutiendra et l’accompagnera jusqu’à la fin.
Losfeld crée ainsi la maison Arcanes, qui verra son catalogue s’enrichir d’une quarantaine de titres entre 1952 et 1955. Aucune faute de goût dans le choix des textes : Forneret donc, Alphonse Allais, Nerval, l’immense Benjamin Péret, Ionesco (que tous les autres éditeurs ont refusé de publier…), le regretté Jacques Sternberg, le lettriste Isidore Isou, les classiques de l’érotisme Sacher Masoch, Sade ou Andréa de Nerciat, Cocteau, Maurice Raphaël (nous y reviendrons !!), Marcel Béalu, bien d’autres et pas des manches !
Parallèlement, Losfeld inonde le marché de publications érotiques et pornographiques clandestines, vendues sous le manteau, par petites annonces et dans les fonds de boutiques… Il fallait bien manger. Il n’empêche que dans ce catalogue parallèle se cachent de pures merveilles, nouveautés ou rééditions dont l’extraordinaire Grand Ordinaire de Thirion, des pornos de Claude Seignolle ( !) qu’il lui échangeait contre la publication de textes plus « officiels », etc. etc.
Malgré la qualité de son travail, Arcanes fait faillite mais Losfeld ne renonce jamais. Il crée une seconde maison d’édition qu’il nomme le « Terrain Vague ». André Breton lui conseille ce nom, sans savoir que « losfeld » signifie « terrain vague » en flamand… étrange et belle coïncidence !
Encore une fois, l’éditeur mélange surréalisme, fantastique et érotisme avec un talent indéniable. La censure frappe, l’endette comme une mule mais quelques succès lui permettent de faire bouillir la marmite. Plus tard, Emmanuelle, Barbarella (et oui c’est lui), Boris Vian et quelques autres lui permettront encore de déterrer Lautréamont, Jacques Rigaut, Ernest de Gengenbach, Jacques Vaché ou Arthur Cravan… Quel homme !
Bon, concédons qu’à l’époque il n’est pas le seul sur ce « créneau », Pauvert et à moindre mesure, Martineau ou Régine Deforges (celle de la Bicyclette bleue oui…) publient de bons textes sulfureux. Sa rivalité avec Pauvert est presque légendaire. Les deux bougres se sont foutus sur la gueule par procès interposés mais ont tous deux défié l’Etat pour cultiver une jeunesse curieuse et qui avait bien raison de l’être !
Malgré tout, les déconvenues de toutes sortes, juridiques et financières ont considérablement affaibli Losfeld et ont quelque peu gâté son catalogue sur la fin. Il évoque tout cela dans ses mémoires, monument salutaire de libre pensée et d’irrévérence, pavé dans la mare de la bêtise ambiante. J’ai eu vent, lors d’un mémoire consacré à l’éditeur, d’une éventuelle réédition de ce texte mais j’attends toujours d’en voir le bout…
Voilà pour un premier aperçu du personnage. Cette présentation est fortement réductrice mais je voulais saluer le talent de cet homme qui est quelque part une sorte de mentor et d’icône pour moi.
lundi 7 janvier 2008
dimanche 6 janvier 2008
retro! la! la!
Connie O'Hara. Clayton's College
Paru en 1948 aux éditions de l’Alma (seul un Bernard Joubert pourrait nous en dire plus sur cet éditeur…), Clayton’s College est devenu un petit livre cul-te de cette période. Plusieurs fois réédité (Régine Deforges, puis en poche), ce livre érotique ne casse pas des briques mais se laisse lire. Je ne révèle rien en disant que derrière le pseudonyme de Connie O’Hara se cache le romancier et dramaturge belge José-André Lacour.
Dans la vallée de la Morave, Clayton’s College s’est vidé à cause des vacances scolaires. A quelques pas se trouve le Davila’s College qui n’accueille que des garçons.
Archie Boni et sa femme dirigent le premier établissement, accompagnés par Mae, la femme de ménage et sa fille, ainsi que par Job, le jardinier et « homme à tout faire » du collège. C’est lui que l’on voit sur la superbe couverture de l’édition originale, suant la perversité.
Les seuls élèves qui occupent encore les lieux sont Brenda Flemming et Conception Tansillo. En face, Joël Lincoln, le petit ami de Brenda qui a cependant le béguin pour Conception.
Entre tous ces personnages s’élaborent toutes les combinaisons possibles de la luxure hétérosexuelle. Ainsi l’on voit Job peloter la fille de Mae puis Brenda, qui fait quelques pages plus loin mumuse avec Joël. M. et Mme Boni, non contents de se livrer entre eux à des jeux coquins, folâtrent avec les élèves. Etc.
Job, quant à lui, tient le rôle du benêt. Il observe plus qu’il n’agit, en gros malotru obsédé.
La grande réussite à mes yeux de ce texte tient dans les descriptions de la nature et de l’atmosphère des lieux. Entre chaque scène de sexe, Lacour dessine avec talent la lourdeur du ciel, des orages menaçants, la moiteur qui fait transpirer le corps et l’esprit de tous les protagonistes.
« On était tout le temps mouillé et brûlant et l’on avait envie de se frotter aux arbres et à la terre, et l’eau même des étangs, aspirante et tiède, était comme un grand ventre où l’on se serait laissé couler. »
Cette chaleur semble contaminer les personnages comme d’étranges radiations dans les films de série Z, faisant d’eux non pas des zombies mais des bêtes assoiffées de sexe, ne contrôlant plus leurs pulsions, reléguant bien loin d’eux toute forme de morale.
L’ « anxiété charnelle » les gagne. Aucun d’entre eux ne contrôle plus rien jusqu'au déchaînement final de Job qui furieux de désir, ira jusqu’à violer Brenda et la laisser pour morte près de l’étang.
Voici donc un livre moite et orageux, au sexe interdit et pulsionnel, en milieu clos, oppressant, autant d’éléments qui lui vaudront les foudres de la censure.
On trouve aujourd’hui cet ouvrage aux éditions de la Musardine, sous une couverture inintéressante que je ne reproduirai pas ici, préférant de loin l’originale hélas anonyme.