jeudi 17 janvier 2008

André Héléna. Rencontre chez Borniol.

Un drôle de type se pointe chez Jean Jérôme, la narrateur du bouquin et accessoirement un sale type attachant, pour lui annoncer la mort d’un certain Léonard, négociant en vins tué par balles, et dont la dernière volonté serait qu’il assiste à sa mise en bière. Etonnant car il ne le connait pas mais suffisamment intéressant pour attirer sa curiosité. Début des emmerdes…

Il y va, suivi de près par le costaud Dominique, son ami et garde du corps corse. Dans la salle, le cercueil est ouvert, entouré par une tripotée de malfrats et par une jolie jeune fille qui prétend être la nièce du défunt. Seulement Jean a beau regarder le macchabée, il ne le reconnait pas. Il comprend alors que tous ces types se sont gourés de client et veut en savoir plus. Personne ne voulant parler, les poings prennent le relais.
Jerôme et Dominique se réfugient ensuite dans un bar proche, où les rejoint la troublante jeune fille présente dans la chambre funéraire, Micheline Gayre…

Commence alors un polar plutôt classique dans lequel, à mes yeux, Héléna n’a pas eu le temps (ou l’occasion) de s’investir réellement et pour lequel il n’a pu fournir que les ingrédients demandés par l’éditeur. A savoir, un savant mélange de violence :

« Je regardai le type que j’avais flingué. Ses yeux commencaient à se révulser, les pointes de ses pieds raclaient le tapis et une mousse sanglante apparaissait à ses commissures. Il appareillait visiblement pour l’enfer. »

de légèreté :

« Une déesse c’était Micheline, une splendide statue païenne, avec des petits seins de marbre accrochés haut, un ventre plat, des hanches en amphores et, au milieu de son corps, une toison sombre qui prouvait qu’on peut être blonde comme une norvégienne et brune par certains côtés. »

Auquel Héléna rajoute, heureusement, car c’est ce qui sauve à mes yeux le livre, une dose de noirceur lourde et d’abjection existentielle. Jean Jérôme raconte qui il est vraiment à la fin du livre, un homme qui a fait une promesse, suite au viol et au meurtre de sa sœur, celle de la venger de la pourriture et de l’immondice qui enlaidissent notre monde :

« Je suis parti dans la nuit mouillée, comme un loup sur une piste, hagard, la tête haute et les doigts crispés sur mon automatique. Je savais où j’allais et ce que je voulais. Je le sais toujours et c’est la même chose » « Seul. Prêt à remettre la gomme dès qu’un de ces salauds m’en donnerait l’occasion ».

C’est précisément ça que j’aime chez Héléna, ces anti-héros confrontés à la poisse quotidienne, au sang cailleux qui vient se coller aux rayons du soleil, à la misère contre laquelle personne ne peut rien parce que… « la vie est dégueulasse » tout simplement comme disait Léo Malet. C’est souvent cette dimension supplémentaire, ce relief qui fait des œuvres d’Héléna autre chose que des polars de gare infiniment duplicables. Je parle en tout cas des textes pour lesquels il n’a pas eu la liberté qu’il méritait, pressé par des éditeurs lui demandant des textes calibrés et répondant à des critères bien précis… Il a pu dans certains, qui sont de véritables perles, donner libre cours à toute sa créativité et marquer à jamais le polar d’un encre indélébile et inimitable. Nous parlerons bientôt de certains de ces textes.

Pour finir et illustrer mon propos sur Rencontre chez Borniol, je laisse la parole à Frank Evrard qui écrivait ces mots très justes dans la préface d’une réédition de L’Homme de main (éditions e/dite, 2000) :

« Car il n’y a aucune illusion à se faire : André Héléna est un radical de la révolte. Pour lui, cette Planète des cocus, pour reprendre le titre de l’un de ses plus singuliers ouvrages (1952), œuvre de moraliste s’il en est, bien dans l’esprit de Voltaire et des Lumières, est un lieu de totale iniquité, une manière d’enfer, le trou du cul de la création. L’histoire de l’humanité et, plus précisément, celle de l’homme, relèvent de l’entropie généralisée du chaos. L’homme est le jouet des événements. Il ne peut échapper à leur engrenage, il n’a pas le choix, il n’a désormais plus le choix. L’a-t-il d’ailleurs jamais eu ? ».

Editions de la Flamme d'Or, 1952

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