Une double dose de Maurice Raphaël !
Pour ceux à qui ce nom, assez obscur il est vrai, ne dirait rien, voici une petite présentation:
MR est né à Toulon en 1918 sous le nom exact de Victor Le Page (merci à Bernard Joubert d’avoir vérifié à l’état civil). Il débute dans la littérature par des romans pour lequels il a de grandes ambitions. Certains sont remarqués par André Breton (qui parle de « cryptesthésie des bas-fonds ») ou Raymon Guérin. Malgré tout, le succès ne vient pas. Raphaël se lance alors dans l’écriture de romans plus alimentaires, des guides, des érotiques et des polars principalement. Certains d’entre eux seront publiés par Duhamel à la Série Noire, d’autres dans des collections de gare. MR a publié sous une foule de pseudonymes : Ange Bastiani, Ralph Bertis, Ange Gabrielli, Victor Saint-Victor, Mario Angéli, Zep Cassini.... Il faut bien l’avouer, la plupart de ces romans sont assez mauvais. Malgré tout, MR a produit quelques perles inégalables.
Je ne dirai pas grand-chose de la réputation sulfureuse de cet auteur que l’on soupçonne d’avoir joué un rôle détestable pendant la Seconde Guerre. Vous trouverez de quoi vous renseigner là ou là. Malgré tout, rien n’est encore certain sur les actes de Le Page pendant la guerre, les avis divergent et il y a suffisament de livres sur lesquels s’arrêter pour aller fouiller les recoins de sa biographie supposée.
Commençons par Ainsi soit-il, qui fut condamné pour outrage aux bonnes mœurs en 1951. C’est Jean D’Halluin, le génial éditeur du Scorpion (qui publia Vian, Guérin, Queneau ou Max Roussel), qui prend le risque de publier ce flot de vomi littéraire célinien. Car en effet ce roman est peut-être le livre le plus trash que je connaisse. Du début à la fin, Raphaël donne la parole à un narrateur pessimiste qui décrit par le menu l’atrocité de la vie, les errances de bar en terrain vague, les pissotières et les mouilleurs de pain qui y officient, les putes, les pous, les rats et le pipi existentiel. Rien n’est épargné par un flot langagier argotique, nerveux, chariant l’abjection jusqu’aux limites de son expression. Ainsi soit-il est un roman purulent, une imprécation sauvage et débridée comme la littérature en a peu connu. C’est aussi mon Maurice Raphaël préféré et pour vous le faire découvrir, rien de mieux que quelques extraits:
« Pas d'espoir, vérole, bien sûr, pas d'espoir... mais pour une seule fois, une petite fois, entre deux passes, on m'empêchera pas de louffer un bon coup... de leur venter aux naseaux, ça fera du bruit. On l'entendra à Landerneau, une tonnerre de Brest, une tonne de dynamite, cannoniers à vos postes. Par rafales de trois, feu... ça pétera le feu. Quel courant d'air, ah les carnes. Il y aura du vent dans les voiles, de la tempête dans les bidets, la mousson, un maelstrom, Bikini, un pet atomique. On en reparlera dans cent ans en se bouchant le blair... quel fumet, un rien, un zeste... à vos masques »
« Ma pureté, c'est au tréfonds de mon désespoir et de ma colique que je vais la chercher »
« ... Et on dit que la vie n'a pas de but, pas de sens. Mais si mon con, un sens unique... la fosse, fosse commune... fosse d'aisance.
... La mort... la merde. »
Il est plutôt rare que les livres dont je parle ici soient réédités alors profitez-en pour vous jeter là-dessus. Pour les esthètes, Eric Losfeld avait également réédité Maurice Raphaël avec des couvertures de Molinier. Tout ça se trouve assez facilement d’occasion pour moins de 10 euros alors vous savez ce qu’il vous reste à faire.
Il est plutôt rare que les livres dont je parle ici soient réédités alors profitez-en pour vous jeter là-dessus. Pour les esthètes, Eric Losfeld avait également réédité Maurice Raphaël avec des couvertures de Molinier. Tout ça se trouve assez facilement d’occasion pour moins de 10 euros alors vous savez ce qu’il vous reste à faire.
Maurice Raphaël. Biscuit-L’Amour (Editions du Scorpion, 1956)
Ce roman, comme souvent chez Raphaël, a pour cadre le sud de la France. Raphaël prend plaisir à évoquer le soleil, les pins, les cigales et la chaleur qui excite ou engourdit tour à tour.
Biscuit est un fainéant qui fait de la pêche clandestine, à la dynamite, avec son ami Pipe. Il est aimé de Louisa mais lui n’a d’yeux que pour Violette, une jeune blonde aux yeux clairs de la station service, la plus belle, la reine du bal. Louisa, quant à elle, est mariée à un type qui l’aime mais ne se rend pas compte qu’elle se fout de lui et qu’elle ne voit que Biscuit. Par ailleurs, avant de n’avoir plus que Biscuit pour horizon sentimental, elle n’a pas fait la difficile avec les hommes du coin, monnayant son corps sans trop d’états d’âme.
Biscuit-l’amour raconte donc les conflits personnels entre tous ces personnages et quelques autres dont un bossu fourbe (Zé) et quelques types pas très fins tout droit sortis des romans du sud américains type Fantasia chez les ploucs ou 1275 âmes.
A vrai dire, je sentais ma lecture mal partie. Le lecteur précédent n’avait massicoté les pages que jusqu’à la moitié du livre. En général c’est mauvais signe… Et pourtant je me suis laissé complètement saisir par ce petit univers raphaëlite, plus proche de ses polars tardifs que de ses romans noirs sublimes et crasseux (Ainsi soit-il donc). A cheval entre ses hauts désirs littéraires et la littérature populaire qui, à défaut de son succès, fera office de salaire, Raphaël laisse tout de même évoluer son lecteur dans un roman bien senti et plutôt bien écrit. Je pense à quelques descriptions comme celle-ci :
« La sueur plaquait la soie sur le corps de Louisa modelant ses seins aux mamelons durcis, ses cuisses pleines, son ventre frémissant et jusqu’au dos d’âne de son sexe auguste. Toute sa chair émanait des effluves de bête au travail. Une bête de somme qui demandait à être attelée, mise sous le joug, bâtée et entravée, soumise au timon et harcelée par la mèche du fouet ou la houlette. Et par moments il la fallait voir se débarrasser de sa sueur avec de brusques mouvements de cou, de tête et de poitrail, comme une bête chasse des nuées de mouches obsédantes ».
Il donne à ses personnages un vrai relief, crée une réelle tension entre eux, et tout cela grâce au cadre dans lequel ils évoluent, ce petit village du sud dans lequel les mentalités sont aussi étriquées que les gosiers sont larges pour accueillir le bon vin.
Raphaël livre aussi une très belle évocation du mistral qui vient souffler sur ce petit monde, propageant d’ailleurs un incendie dans le village - l’incendie étant un thème obsessionnel chez Raphaël depuis son roman Feu et Flamme paru chez Denoël et qui ne remporta aucun succès.
De même, pour les curieux du personnage, il est à noter qu’apparaît p.45 un certain Ange Bastiani, « vice-président du comité ».
Autant de raisons qui font de Biscuit-l’amour un roman à redécouvrir, et pourquoi pas à rééditer…
D’autres Raphaël viendront compléter ce début de portrait au fur et à mesure de mes lectures et relectures.
Petite curiosité de fin de post: Biscuit l'amour fut réédité par Eurédif pour la collection érotique Aphrodite en 1976, sous le pseudo d'Ange Gabrielli. L'édition Scorpion ne comporte pas à proprement parler de scènes érotiques, celles-ci étant suggérées par une superbe ellipse typographique du genre :
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Reste à savoir si l'on a demandé à Raphaël (ou à quelqu'un d'autre) de remplacer les pointillés par des scènes érotiques... Une mission pour robo?
9 commentaires:
Un personnage intéressant...
alors, personnellement, la carrière polar alimentaire (comme tout le monde dit...) de Bastiani n'est pas si mauvaise que ça. Bien au contraire.
Ces romans n'ont peut être pas le prestige d'un Lebreton ou d'un Simonin mais ça a son charme, avec des personnages très typés, des intrigues parfois imprévisibles et surtout une grande connaissance du milieu truand/ex-collabo niçois et marseillais qui renforce l'atmosphère. Et puis c'est toujours bien écrit, avec des dialogues bien sentis et tout le toutim.
Tout ça mérite d'être revu à la hausse.
Probablement oui. Moi je suis resté sur une impression pénible mais j'ai fait quelques achats récents qui contredisent un peu mon propos. A suivre.
Tu sais pas alors pour l'édition Eurédif de Biscuit?
aucun euredif de Bastiani/Gabrielli en ma possession, actuellement. Mais je compte bien faire un saut à emmaus dans le courant de la semaine prochaine - en esperant qu'ils ait toujours leurs gros stocks d'euredif en tout genre...
Ah! Mon dieu mais quel hasard! je viens justement de le dévorer, et ce soir j'ai acheté "Les chevaux de bois sont ivres", disponible encore un peu au Dilettante. Si vous ne l'avez pas lu, il vous aussi absolument lire "La croque au sel", réédité il y a quelques années par L'esprit des péninsules, c'est admirable et d'une violence incroyable.
Mais comme j'aimerais l'avoir dans cette édition du Scorpion.
Ah, le Scorpion...
J'ai trouvé l'édition originale de l'Emploi du temps qui contient la nouvelle dont vous parlez il y a quelque temps mais je ne m'y suis pas encore mis. Quant à La Croque au Sel il faut que je le relise, j'étais passé à côté...
Feu et flammes est un roman magnifique, épuré, tout simple. Un couple qui fuit un incendie dans la forêt. Je ne crois pas qu'il ait jamais été réédité.
Le responsable de l'édition au Dilettante de cette merveille qu'est Les yeux de la tête livre en postface une impressionnante tentative de bibliographie exhaustive de l'écrivain.
Quant aux suspicions sur son comportement durant l'Occupation, d'abord rapportées par Losfeld dans ses mémoires, elles m'ont toujours semblé incompatibles avec la teneur et la sensibilité de son œuvre.
Bon, la question revenant me turlupiner, je suis allé relire l'article d'Eibel : C'est bien ce que je pensais : il ne cite aucune source pour étayer ses assertions calomnieuses. En allant voir l'autre lien fourni par Modiano, on tombe sur ce témoignage de Marino Zermac (§ 404), autrement plus fiable :
« Des rumeurs sulfureuses couraient dans son sillage. On disait que dans sa jeunesse, pendant la guerre, il avait fait partie de la "Carlingue", une bande de collabos liée aux crimes commis dans les caves du 93, rue Lauriston. D'anciens résistants l'accusaient formellement d'avoir été l'un des complices des redoutables Bony-Lafont, cette association de fait entre un ancien flic renommé et un truand de haut vol.
Au service de l'occupant, en compagnie de braqueurs, de faussaires, de souteneurs, de bookmakers et de tueurs patentés, il aurait violé, torturé, abattu des innocents accusés de faits de résistance.
Mais notre ami Arnal qui avait accès librement accès aux dossiers de police les plus secrets affirmait volontiers que les assertions haineuses de ses détracteurs étaient très exagérées. Comme beaucoup de Français, Ange avait connu quelques difficultés à la Libération, avait côtoyé des truands, fait de la prison pour petits trafics avant de gagner sa vie comme écrivain. »
...textes fétides/...fameuse trilogie nauséeuse ...d'une désespérance absolue où la nausée sartrienne et l'absurde selon Camus étaient poussés à leur paroxysme. La trilogie [...] est d'une lecture presque insoutenable mais dégage une puissance et une lucidité qui emporte l'adhésion.
- S'il a été l'un des grands représentants du roman noir français en hissant le genre à un niveau exceptionnel [...], il a également été l'un des meilleurs auteurs populaires de sa génération.
JP. Schweighaeuser in le Guide du Polar (1987)
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