vendredi 11 avril 2008

Roger Salardenne. L'Amour chez les fous. (Ed. Prima)


Continuons l'exploration du catalogue des excellentes éditions Prima avec ce livre de Roger Salardenne qui consacra une partie de ses "recherches" aux naturistes, et qui fut un auteur prolifique des années 1920-30 (livres, articles dans le Canard Enchainé, Guignol etc.). Ce livre (que certains, souffrant probablement d'une "maladie des boyaux de la tête", osent vendre 125 euros) est un document très intéressant sur les asiles d'aliénés de l'avant seconde guerre mondiale et sur la sexualité des malades (même si le sujet n'occupe qu'une courte partie du livre contrairement à ce que le titre un peu racoleur suggère).


On est très proche des conditions dans lesquelles Antonin Artaud a vécu ses internements. L'asile était alors une sorte de prison dans laquelle on entassait toutes sortes de gens, des ivrognes ayant frappé leur femme en rentrant du rade aux vrais fous pour qui notre réalité est un monde inconnu.


Salardenne se réclame plus ou moins d'Albert Londres qu'il cite en exergue de son livre. Il ne dévoile pas la manière dont il s'est introduit dans divers asiles pour récolter ses informations, laissant juste deviner l'influence de certains contacts et un don d'usurpateur d'identité certain. Quoi qu'il en soit, le tableau est assez triste et le propos engagé. Salardenne ne mâche pas ses mots:


"La psychiatrie est la science (si l'on peut dire) la plus en retard de toutes les sciences. Elle n'est guère plus avancée au XXe siècle qu'elle ne l'était en l'an mille. L'aliéniste n'est pas un médecin, c'est un collectionneur. Il collectionne les fous et les catalogue, comme un botaniste conserve des plantes dans son herbier. Il leur donne des noms bizarres, barbares. Il vous dira que celui-ci est un hébéphréno-catatonique, cet autre un paranoïaque, celui-là un schizomaniaque... Il vous parlera de zoopsie, d'onirisme, d'ataxoadynamique, de presbyophrénie... Ce sont des mots impressionnants derrière lesquels il cache son ignorance tout comme les médecins de Molière cachaient la leur derrière des mots latins" (p.169) ou encore "L'asile n'est pas un hôpital, mais une prison. Le fou y est traité en condamné de droit commun. Plus durement peut-être. Les condamnés, eux, ignorent la camisole de force". Salardenne s'intéresse aussi à la sexualité des internés et rappelle qu'ils portent alors des ceintures de chasteté. Il souligne l'absence totale d'intérêt pour les besoins sexuels des malades qui font comme ils peuvent, compensant par l'onanisme et leur imaginaire débridé des besoins qui sont réels et pourtant rigoureusement ignorés et prohibés.


Certains passages sur les fantasmes de malades sont très intéressants et heureusement illustrés par Pol Ferjac, notamment celui dans lequel un malade confesse son amour de l'héroïne du Métropolis de Fritz Lang jouée par Brigitte Helm.


" Comprenez mes malheurs, monsieur... Brigitte, deux êtres en un seul, une bonne, une mauvaise, une chaste, une vicieuse. Métropolis, Métropolis... Femme artificielle et mécanique... Femme réelle en chair humaine... Je m'y perds, monsieur... C'est atroce... Un soir, je veux l'aimer, elle est en bois, en fer, en plomb, en acier, en aluminium, comme les casseroles, monsieur... Ah, c'est épouvantable... Et la radio, et les fluides électriques de son corps... Elle possède un haut-parleur dans le gosier, monsieur, et une dynamo dans la poitrine... Et puis je crois qu'elle me trompe avec ce Fritz Lang qu'elle dit être son père spirituel..." (p.71-72)


Autre intérêt de ce livre, Salardenne reproduit certaines lettres rédigées par des malades, qui pour la plupart finissaient dans la poubelle du surveillant. On trouve dans certaines des qualités proches de l'art brut ou de l'écriture automatique si chère aux surréalistes:


"... Canaille et chambre des Députés Luxembourg et Guillaume II qu'on assassine la tour Eiffel avec le centenaire de l'Algérie et la femme Dubois qui a la maladie noire en rampant sur le sable et sur le sable en rampant, canailles! assassins! bandits! voleurs! la petite fille que j'ai violée, c'est faux et je réclame justement justice et guillotine dans les tranchées, les gaz, la mitrailleuse et la colique, des larmes et des rires, canailles, au secours, canailles et chambre des Députés, bordel et Luxembourg, Bolo Pacha et Pacha Bolo, Almereyda et duc de Guise et la femme Dubois qui a la maladie noire pourquoi suis-je fou? Parce que je ne le suis pas et que je sais que je ne le suis pas".


4 commentaires:

  1. Dans les années 80, les choses n'avaient - par endroits - pas davantage changé que dans les descriptions de Salardenne, car ta notule me rappelle les photos que Raymond Depardon avait rapportées de l'asile de San Clemente, en 1984.
    Martian Shaker

    RépondreSupprimer
  2. Please excuse my slow response to
    your question posted on "Not Art".
    Yes, please feel free to my images
    to your blog. I am curious as to what images you will choose.
    Thank you for your interest in my work.
    William Philyaw

    RépondreSupprimer
  3. Je n'ai pas vu le travail de Depardon dont tu parles mais j'irai jeter un oeil à l'occasion Martian Shaker.
    Done, William. Thank you.

    RépondreSupprimer
  4. excellent post Mr Losfeld.
    le passage metropolis est exceptionnel.
    je crois que je suis desormais à point pour chiner des ouvrages prima...

    RépondreSupprimer

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.