Gabrielle Wittkop à elle seule mériterait un texte plus approfondi, j’y reviendrai peut-être un jour. Même chose pour François Rivière que je connais malgré tout moins bien.
Tous les deux dressent en une centaine de pages un portrait d’un genre bien oublié de nos jours mais qui fit le bonheur des spectateurs en quête de frissons il y a maintenant un siècle, avant d’être plus ou moins anéanti par le cinéma. S’il ne reste aujourd’hui de tout cela qu’un banal adjectif « grand-guignolesque », il ne faut pas oublier que notre cinéma fantastique emprunte beaucoup à ce genre perdu, qu’André Breton et les surréalistes y ont trouvé une liberté de ton et un mystère fascinants.
Le livre se compose de 14 chapitres, tantôt écrits par FR, tantôt par GW. Ils y analysent les fondements et origines du genre vu par le prisme de ce cher Sigmund et de son concept d’ « inquiétante étrangeté » (Das Unheimliche), du naturalisme exacerbé, de l’art intégrant les découvertes scientifiques. André de Lorde, l’un des principaux auteurs de ce théâtre de l’horreur écrivait à ce sujet : « La science a passé du laboratoire dans le roman ». Cette science se met donc au service de la création et lui procure une source intarissable de frayeurs.
L’un des chapitres les plus intéressants à mes yeux est un « Entretien imaginaire avec André de Lorde » dans lequel François Rivière campe parfaitement le grand homme et lui fait tenir des propos qui rendent avec une grande justesse toute la portée du Grand-Guignol et son importance historique. On ne rappelera en effet jamais que la peur EST un sujet essentiel et incontournable de l’expression artistique.
Aujourd’hui encore, bien des enseignants et de pompeux universitaires continuent de penser que le cinéma d’horreur ou la littérature fantastique contemporaine sont des sous-genres bien à leur place derrière des étiquettes (paralittérature etc.) et qu’il convient de les y laisser ou de ne s’en soucier que si on les y oblige. Chacun ses dégoûts, certes, mais de toute manière, la seule chose qui importe ce sont les lecteurs et les spectateurs, et de ce fait je n’ai aucune crainte. L’horreur continuera de se manifester dans la culture parce qu’elle est partie intégrante de notre civilisation et de notre inconscient.
Ed. Henri Veyrier, 1979.
Je me souviens qu'André Breton raconte, dans l'un de ses livres, son expérience de spectateur pendant une pièce du grand-guignol. La pièce l'avait marqué.
RépondreSupprimerJ'aime aussi François Rivière, même si, comme toi, je ne le connais pas énormément. L'ouvrage en question semble fort intéressant.
As-tu déjà lu LES CHÂTEAUX DE LA SUBVERSION d'Annie Le Brun, sur le roman gothique ? Je me demandais ce que ça donnait...
Oui je me souviens de ce passage dans Nadja que tu évoques sur ton blog aussi il me semble.
RépondreSupprimerJe n'ai pas lu le livre d'Annie Le Brun mais ça m'a titillé plusieurs fois...
Pour reparler d'Héléna, est ce que tu as lu un livre de Frank Evrard publié par Christophe Bier et qui s'appelle 'André Héléna, les secrets d'un auteur de romans noirs' ? J'en avais entendu parler lors d'une émission que tu dois connaître sur France Culture, Mauvais genres. Etant auto-édité par Bier à un tout petit tirage, j'imagine qu'il ne doit plus être dispo depuis le temps...
Je ne suis pas un grand lecteur mais j'avoue être interpelé par ton dernier paragraphe;
RépondreSupprimerla littérature et d'autant plus le cinéma fantastique est en effet peu apprécié par la considération artistique, ce qui est vraiment dommage car c'est souvent dans les sous-genres que l'on trouve une honnêteté créatrice et une puissance visuelle étonnante, certes, mais moi je dis: "C'est pas plus mal que ce plaisir soit réservé aux affranchis!" Quand je vois les phénomènes d'hypocrisie que sont mes profs d'arts plastiques vanter l'art de Cronenberg ou Lynch sans avoir vu Chromosome3 et eraser Head, Fuck! et quand je vois la prétentieuse mamzelle X de ma classe se taper une super note parce qu'elle a fait un petit remix vidéo d'image gore du Festin Nu! ça me fout les glandes, on en parle, on en parle plus, et dés qu'on en reparle on se doit d'en parler! c'est ça l'art? l'Art est pourri, ce serait paradoxal et vraiment dommage que l'horreur filmique s'y mèle! Et c'est pourquoi je te respecte mec, tu fouilles ici et là et trouves des perles oubliées sans te soucier réellement de l'Art et sa façon actuelle de *se justifier* sans cesse! Trop de références tuent les références, toi tu trouves tes propres références, sans arrières pensées de justificiation! c'est toi l'artiste mec, le chercheur de l'étrange toujours capable de renouveler et enrichir son regard--tout en nous le faisant partager- RESPECT
Merci beaucoup Jim! T'as toujours été un des seuls types qui ait plus ou moins les mêmes goûts que moi, et c'est le genre de truc qui rassure. Et "putain", il FAUT que plus de gens écoutent tes morceaux et voient tes oeuvres!
RépondreSupprimerQuant à "la pensée universitaire" elle ne me manque pas. En 7 années de fac j'ai connu 2 profs pour qui la culture représentait avant tout quelque chose de ressenti et pas seulement quelque chose d'analysé et de reconnu par leur pairs comme "officiellement culturel"... Et ces profs pouvaient interrompre un cours sur L'Education sentimentale pour parler d'un épisode de la Quatrième Dimension pendant 30 minutes, et ça m'a marqué à jamais... et ça a fait chier les petites studieuses du premier rang parce que "c'est pas avec ça qu'on va avoir notre diplôme, ce prof est nul"... T'as raison, de toute façon on peut pas forcer les gens...
Christophe Bier est un ami. Il m'avait donné une copie du livre en question lors de sa parution. J'ignore si tu as ce livre, mais c'est un incontournable qui contient non seulement des nouvelles inédites d'Héléna, mais aussi des préfaces, poèmes, etc., en plus d'une bibliographie commentée complète, relevant les éditions modifiées ou retitrées, etc.
RépondreSupprimerBier fait régulièrement une chronique pendant "Mauvais genres".
Je ne sais pas si le livre est épuisé, je pourrais éventuellement vérifier auprès de Christophe.
Hélas je n'ai pas ce livre mais il m'intéresse beaucoup. Je me souviens que Bier avait lu dans Mauvais Genres un poème d'Héléna que j'avais trouvé magnifique. Si tu peux éventuellement lui demander si ce livre est toujours dispo et à quel prix, je t'en remercie d'avance!
RépondreSupprimerBonjour, sortant à peine de la forêt, je tombe par hasard et pour mon plus grand plaisir dans ce magnifique jardin. "Le nécrophile" et "La mort de C." sont des textes admirables, et je ne comprends toujours pas, je comprends fort bien, pourquoi Gabrielle Wittkop est si peu mentionnée par nos intellectuels labellisés.
RépondreSupprimerChouette endroit, je reviendrai.
Cordialement depuis les cimes enneigées et les nuages lourds de promesses.
delorée