J’aurais peut-être du commencer par là !
La plupart de mes goûts en matière de littérature populaire, érotique, étrange et dérangeante viennent de ce bras d’honneur adressé aux censeurs et aux grenouilles de bénitier par un éditeur hors normes, « hénaurme » !
De 1952 à 1979, Losfeld a bâti une œuvre éditoriale quasi parfaite. Je ne me souviens pas comment j’ai découvert le personnage, ni par quel livre mais dès que j’ai compris l’ampleur de ce catalogue je n’ai eu de cesse de TOUT me procurer, et j’y suis encore.
Ce que tout le monde retient (si l’on retient encore quelque chose) de ce parcours éditorial se limite à la publication d’Emmanuelle, best-seller international qui a quelque part révolutionné les mentalités et accompagné une libéralisation des mœurs en France. Mais Losfeld ne peut se réduire à cela.
Tout commence dans les années 1950 lorsque ce futur éditeur, après avoir travaillé aux côtés de Charlot, d’éditeurs de romans policiers populaires, de François di Dio et de Jean d’Halluin (ah les éditions du Scorpion…), se lance lui-même dans ce périlleux métier, sous la bénédiction du pape du surréalisme, André Breton. Il rencontre le génie dans les cafés où se tenaient encore après-guerre les réunions du groupe, évoque son projet d’éditer les œuvres complètes du « Petit romantique » Xavier Forneret, enthousiasmant aussitôt Breton qui le soutiendra et l’accompagnera jusqu’à la fin.
Losfeld crée ainsi la maison Arcanes, qui verra son catalogue s’enrichir d’une quarantaine de titres entre 1952 et 1955. Aucune faute de goût dans le choix des textes : Forneret donc, Alphonse Allais, Nerval, l’immense Benjamin Péret, Ionesco (que tous les autres éditeurs ont refusé de publier…), le regretté Jacques Sternberg, le lettriste Isidore Isou, les classiques de l’érotisme Sacher Masoch, Sade ou Andréa de Nerciat, Cocteau, Maurice Raphaël (nous y reviendrons !!), Marcel Béalu, bien d’autres et pas des manches !
Parallèlement, Losfeld inonde le marché de publications érotiques et pornographiques clandestines, vendues sous le manteau, par petites annonces et dans les fonds de boutiques… Il fallait bien manger. Il n’empêche que dans ce catalogue parallèle se cachent de pures merveilles, nouveautés ou rééditions dont l’extraordinaire Grand Ordinaire de Thirion, des pornos de Claude Seignolle ( !) qu’il lui échangeait contre la publication de textes plus « officiels », etc. etc.
Malgré la qualité de son travail, Arcanes fait faillite mais Losfeld ne renonce jamais. Il crée une seconde maison d’édition qu’il nomme le « Terrain Vague ». André Breton lui conseille ce nom, sans savoir que « losfeld » signifie « terrain vague » en flamand… étrange et belle coïncidence !
Encore une fois, l’éditeur mélange surréalisme, fantastique et érotisme avec un talent indéniable. La censure frappe, l’endette comme une mule mais quelques succès lui permettent de faire bouillir la marmite. Plus tard, Emmanuelle, Barbarella (et oui c’est lui), Boris Vian et quelques autres lui permettront encore de déterrer Lautréamont, Jacques Rigaut, Ernest de Gengenbach, Jacques Vaché ou Arthur Cravan… Quel homme !
Bon, concédons qu’à l’époque il n’est pas le seul sur ce « créneau », Pauvert et à moindre mesure, Martineau ou Régine Deforges (celle de la Bicyclette bleue oui…) publient de bons textes sulfureux. Sa rivalité avec Pauvert est presque légendaire. Les deux bougres se sont foutus sur la gueule par procès interposés mais ont tous deux défié l’Etat pour cultiver une jeunesse curieuse et qui avait bien raison de l’être !
Malgré tout, les déconvenues de toutes sortes, juridiques et financières ont considérablement affaibli Losfeld et ont quelque peu gâté son catalogue sur la fin. Il évoque tout cela dans ses mémoires, monument salutaire de libre pensée et d’irrévérence, pavé dans la mare de la bêtise ambiante. J’ai eu vent, lors d’un mémoire consacré à l’éditeur, d’une éventuelle réédition de ce texte mais j’attends toujours d’en voir le bout…
Voilà pour un premier aperçu du personnage. Cette présentation est fortement réductrice mais je voulais saluer le talent de cet homme qui est quelque part une sorte de mentor et d’icône pour moi.
Personnage emblématique, en effet, qui a marqué tous ceux qui l'ont connu.
RépondreSupprimerDeux auteurs cinéastes ont eu l'occasion de m'en parler fébrilement, soit Mario Mercier (auteur de deux romans saisissants publiés chez Losfeld : JOURNAL DE JEANNE et L'ODYSSÉE FANTASTIQUE D'ARTHUR DÉMENT) et Jean Rollin.
J'ai rendu hommage à Losfeld dans l'un de mes romans, LE CARROUSEL POURPRE. L'héroïne, une jeune amnésique, va s'entraîner au tir sur un terrain vague... "Le terrain vague du vieux Losfeld", lui explique un personnage.
Justement je cherchais il y a encore quelques mois des témoignages de gens qui l'ont connu pour mon mémoire...trop tard. J'ai rencontré sa fille et l'éditeur Olivier Rubinstein. Par curiosité te souviens-tu d'anecdotes que t'aurait racontées Mario Mercier. On trouve un long témoignage de Rollin sur Losfeld dans une interview en ligne.
RépondreSupprimerEt il faut que je me mette en quête de tes livres aussi!! Ils ont l'air assez difficiles à trouver en France hélas mais tout se trouve!
Tu possèdes quelques bouquins que j'aimerais bien feuilleter...
RépondreSupprimerLe Picabia par exemple.
Ma rencontre avec Mario Mercier fut brève et étonnante (au Flore, en 1999). Je me souviens en tout cas qu'il avait évoqué l'autobiographie de Losfeld, dans laquelle l'éditeur écrivait que Mercier "était l'auteur d'un seul livre", ce qui l'avait blessé. À juste titre, d'ailleurs, car s'il est quelque chose que je déplore, c'est bien que Mercier n'ait pas publié plus de romans et nouvelles, il avait un imaginaire et un style incomparables...
RépondreSupprimerJean Rollin m'a parlé de lui à l'occasion d'une longue entrevue accordée pendant le festival Fant-Asia, à l'été 2007. Cette entrevue fut filmée... Peut-être y aura-t-il publication à un moment ultérieur.
Merci de ton intérêt envers mes livres. C'est très sympa...
Quelques ressources :
- La librairie du Québec, à Paris.
30, Rue Gay Lussac
75005 (33 1 43 54 49 02)
Sinon, ils se trouvent presque tous via AMAZON.CA, quelques-uns via AMAZON.FR,
En mars prochain paraîtra mon polar noir inspiré par André Héléna, JE HURLE À LA LUNE COMME UN CHIEN SAUVAGE. Celui-là devrait te plaire...
Merci pour les précisions sur tes rencontres avec Mercier et Rollin. J'espère aussi que ton entrevue pourra un jour se lire!
RépondreSupprimerDès mars j'achète ton livre. Je trouve le titre excellent.
A propos d'Héléna, tu arrives à trouver des éditions originales aussi loin de la France??
Merci de ton intérêt envers mon livre.
RépondreSupprimerOui, je trouve parfois des éditions originales des livres d'André Héléna pour des sommes dérisoires. Bien sûr, il faut chercher attentivement, mais on peut être étonné... Cela dit, j'en cherche encore beaucoup d'autres !
Cher M. Losfeld (celui qui tient ce site),
RépondreSupprimerJe suis à la recherche de l'introuvable "Judas ou le Vampire surréaliste", juste pour le lire.
Auriez-vous cela dans votre antre?
Arnaud
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerOui je l'ai, je l'ai trouvé il a peu de temps à un prix dérisoire et d'ailleurs pas encore lu.
RépondreSupprimerSuper ! Je passerai bientôt vous voir dans votre Vierge magasin, rayon poche, pour que nous puissions en discuter.
RépondreSupprimerArnaud
Cher Losfeld,
RépondreSupprimerje suis passé au Virgin lundi, une jeune fille m'a dit que vous étiez rentré chez vous. Pas de bol...
Le plus simple, c'est de s'écrire avant pour fixer un RDV, même rapide : voilà mon mail arnaudgonzague(AT)yahoo.fr
Arnaud